L’INDEMNITE D’EVICTION DU FONDS DE COMMERCE D’HOTEL : CADRE JURIDIQUE, METHODES D’EVALUATION ET ENJEUX PRATIQUES
L’indemnité d’éviction, pilier du statut des baux commerciaux, occupe une place centrale dans la protection du locataire exploitant un fonds de commerce d’hôtel. Maître Gérard Doukhan, avocat spécialiste en droit commercial à Paris, souligne que cet article, conçu pour offrir une vue d’ensemble complète, aborde les fondements légaux, les méthodes d’évaluation et les spécificités propres à l’activité hôtelière. Il s’appuie sur les textes fondamentaux, la jurisprudence la plus récente et la doctrine actuelle.
1. Fondements juridiques de l’indemnité d’éviction
1.1. Le principe général
Aux termes de l’article L. 145-14 du code de commerce, en cas de refus de renouvellement du bail commercial par le bailleur, ce dernier est tenu de verser au locataire une indemnité d’éviction équivalente au préjudice causé par la non-reconduction du bail.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession, ainsi que les frais normaux de déménagement, de réinstallation et les droits de mutation nécessaires pour acquérir un fonds équivalent (« lorsque le bailleur décide de ne pas renouveler le bail, il doit payer au locataire une indemnité d’éviction égale au préjudice que lui cause ce défaut de renouvellement, cette indemnité comprenant notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée selon les usages de la profession »)
(« L’indemnité d’éviction garantit ainsi au locataire son droit à renouvellement et, à cet effet, elle doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. C’est en cela que l’on en est venu à parler de « propriété commerciale » tant il est vrai que le statut des baux commerciaux obère les droits du bailleur sur son bien, mais tant il est vrai aussi que, du fait du refus de renouvellement, le locataire subit la perte de son fonds de commerce ou du bail lui-même, deux biens patrimoniaux dont la valorisation doit alors être faite. »)
1.2. Objectif d’intérêt général
Ce dispositif, restrictif pour le droit de propriété du bailleur, poursuit un objectif d’intérêt général : garantir la pérennité de l’activité commerciale ou artisanale, éviter la captation de la clientèle par le bailleur, et préserver la viabilité des entreprises (« cette règle poursuit un objectif d’intérêt général, le législateur ayant souhaité permettre la poursuite de l’activité du fonds de commerce et éviter que la viabilité des entreprises commerciales et artisanales soit compromise »)
2. Spécificités de l’indemnité d’éviction pour un hôtel
2.1. Prise en compte des particularités hôtelières
Dans le secteur hôtelier, la valorisation du fonds de commerce diffère sensiblement des autres activités commerciales en raison des investissements spécifiques (travaux, aménagements), de la clientèle attachée à l’établissement, de la notoriété de l’enseigne et de la rentabilité liée à l’exploitation hôtelière
(« En pratique, il est donc conseillé aux locataires de procéder à des travaux en fin de bail afin de bénéficier de ce dispositif à l’occasion du renouvellement du bail. L’application du dispositif conduit à un abattement pour travaux sur le montant du loyer renouvelé qui varie selon l’ampleur des travaux (l’abattement peut varier entre 5 et 50 % du coût des travaux).
À l’issue de la période de neutralisation, les règles du statut des baux commerciaux redeviennent applicables. En application de l’article R. 145-10 du code de commerce, le loyer des locaux monovalents est fixé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée. Pour les baux hôteliers, les usages renvoient à la méthode dite « hôtelière » pour la fixation du loyer renouvelé. Celle-ci peut conduire à appliquer un abattement pour travaux mais cet abattement est moins favorable pour l’hôtelier que celui résultant du dispositif des articles L. 311-1 et suivants du code du tourisme. »)
2.2. Conséquences de travaux réalisés
Les travaux réalisés par le locataire hôtelier doivent être pris en compte lors de la fixation de l’indemnité d’éviction, notamment lorsque la fin du bail résulte d’un refus de renouvellement.
Les clauses prévoyant que les aménagements réalisés par le locataire resteront la propriété du bailleur en fin de bail sont neutralisées, protégeant ainsi le locataire hôtelier (« dans le cas où la fin du bail intervient à la suite d’un refus de renouvellement du bail par le propriétaire, les travaux mentionnés à l’article L. 311-1 du code du tourisme sont pris en compte pour fixer le montant de l’indemnité d’éviction prévue par l’article L. 145-14 du code de commerce. Sont ainsi neutralisées les clauses prévoyant que les aménagements réalisés par le locataire resteront la propriété du bailleur en fin de bail, sans que le locataire puisse prétendre à une indemnité. »)
3. Méthodes d’évaluation de l’indemnité d’éviction
3.1. Indemnité principale
L’indemnité principale vise à compenser la perte du fonds de commerce ou, en cas d’activité transférable, la perte du droit au bail.
Pour un hôtel, la valeur du fonds est généralement déterminée à partir du chiffre d’affaires des trois derniers exercices, de la rentabilité (excédent brut d’exploitation retraité), et peut être ajustée selon la clientèle, la situation géographique, la notoriété, la qualité des installations et la part des revenus accessoires (« La « valeur marchande » de ce dernier est estimée par le chiffre d’affaires ou par la rentabilité appréciée à hauteur de l’excédent brut d’exploitation, le plus souvent retraité. Ces deux méthodes sont usuellement admises par les tribunaux, en fonction du commerce considéré. La valeur du fonds de commerce est traditionnellement appréciée à partir du compte de résultat des trois derniers exercices clos. »)
, (« La valeur marchande du fonds est déterminée à l’aide de méthodes d’évaluation globale basées principalement sur les résultats de l’exploitation. Peuvent, notamment, être retenus : le chiffre d’affaires (…), le bénéfice net des trois dernières années (…), la recette journalière multipliée par un coefficient, les résultats de l’exploitation postérieure à la date d’expiration du bail. »)
(« D’une manière générale, les tribunaux retiennent les usages professionnels prenant en compte un pourcentage du chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices généralement toutes taxes comprises, parfois hors taxes. »)
EXEMPLE D’EVALUATION (METHODES COURANTES) :
Critères d’évaluation | Méthode/Indicateur |
Chiffre d’affaires | Moyenne des 3 derniers exercices |
Rentabilité | Excédent brut d’exploitation retraité |
Notoriété/Clientèle | Pondération selon l’importance locale/nationale |
Valeur du droit au bail | Différence entre valeur locative et loyer |
Situation géographique | Accès, visibilité, proximité des transports |
Travaux et aménagements | Prise en compte des investissements réalisés |
(« la valeur marchande du fonds de commerce, l’activité exercée dans les lieux, leur situation (dans le centre-ville, à proximité du tramway, du train et de la voie rapide conduisant à l’aéroport), l’existence d’un accès facile pour les livraisons et la notoriété du photographe locataire évincé. »)
3.2. Indemnités accessoires
En complément de l’indemnité principale, des indemnités accessoires sont attribuées pour couvrir les frais de déménagement, de réinstallation, de licenciement éventuel du personnel, de remploi (frais de recherche d’un nouveau droit au bail ou fonds de commerce équivalent), de trouble commercial, etc. (« Accessoirement à la valeur du fonds de commerce, il peut être tenu compte, par exemple, des indemnités de licenciement à verser au personnel licencié à la suite de l’éviction (…), du trouble commercial (…), de la disparition du logement accessoire. »)
, (« Les indemnités accessoires viennent en complément de l’indemnité principale et assurent la réparation de l’intégralité du préjudice. Elles diffèrent suivant la nature de l’éviction (perte ou transfert du fonds de commerce). »)
(« Peuvent ainsi être alloués, si le fonds n’est pas transférable, des frais de déménagement, une indemnité pour trouble commercial, des frais de licenciement ainsi que des frais de remploi couvrant les frais de recherche et de commissions pour trouver un nouveau fonds (…). »)
TABLEAU DES PRINCIPALES INDEMNITES ACCESSOIRES
Indemnité Accessoire | Nature et mode de calcul |
Frais de déménagement | Devis ou factures effectifs |
Frais de réinstallation | Justificatifs des dépenses |
Frais et droits de mutation | Droits d’enregistrement, honoraires |
Frais de remploi | Frais de recherche d’un nouveau local |
Indemnité pour trouble commercial | Évaluation selon la perte de clientèle |
Indemnité de licenciement | Calculée selon le Code du travail |
4. Date d’évaluation de l’indemnité d’éviction
L’indemnité d’éviction doit être appréciée à la date la plus proche de la réalisation du préjudice, c’est-à-dire, en principe, au jour de l’éviction effective ou à la date à laquelle le juge statue si le locataire est encore dans les lieux au moment de la décision judiciaire (« Le montant de l’indemnité doit être apprécié au moment le plus proche de la réalisation du préjudice, et donc de l’éviction (Civ. 3e , 12 mai 1966, Bull. civ. III, n o 246). En revanche, la consistance du fonds doit être appréciée à la date du refus de renouvellement (Civ. 3e , 20 oct. 1971, Bull. civ. III, n o 501). »)
(« La question est dorénavant réglée : le montant de l’indemnité doit être apprécié au moment le plus proche de la réalisation du préjudice, et donc de l’éviction (Civ. 3e , 12 mai 1966, Bull. civ. III, n o 246). »)
5. Exceptions, limitations et modalités particulières
5.1. Réduction de l’indemnité et preuve du moindre préjudice
Le bailleur peut voir le montant de l’indemnité d’éviction réduit s’il prouve que le préjudice subi par le locataire est moindre, par exemple en cas de perte partielle de clientèle ou si le locataire peut poursuivre son activité dans d’autres locaux (« l’indemnité ne comprend que la part de la valeur marchande du fonds de commerce perdue par le locataire »)
,(« Ce moindre préjudice pouvant résulter soit d’une perte partielle de clientèle, soit de la perte du droit au bail. »)
5.2. Indemnisation en cas de fonds exploité sur plusieurs locaux
Lorsque l’activité hôtelière s’exerce sur plusieurs lots ou baux distincts, l’indemnité d’éviction peut être calculée en fonction de la perte totale ou partielle du fonds, selon l’indivisibilité économique des locaux.
Si l’exploitation est indivisible, la perte du fonds est indemnisée dans son ensemble ; sinon, seule la dépréciation du fonds subsistant est compensée (« En revanche, lorsque l’ activité est exploitée dans différents locaux relevant de baux distincts, il appartient au juge du fond d’apprécier si l’ensemble doit donner lieu à indemnisation. »)
6. Prescription de l’action en indemnité d’éviction
L’action en paiement ou en fixation de l’indemnité d’éviction se prescrit par deux ans à compter de la date d’effet du congé avec refus de renouvellement ou de la reconnaissance définitive du droit à indemnité en cas de contestation (« Toutes les actions fondées sur les dispositions du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans ( C. com. art. L 145-60 ). Sont notamment concernées les actions en : […] paiement d’une indemnité d’éviction ( Cass. 3 e civ. 18-12-2002 n° 01-11.189 : RJDA 3/03 n° 241 ; Cass. 3 e civ. 30-3-2017 n° 16-13.236 F-D : RJDA 8-9/17 n° 537 ). »)
(« pour l’action en fixation de l’indemnité d’éviction, de la date d’effet du congé, et non du jour où, en cas de refus de renouvellement du bailleur avec offre d’une indemnité d’éviction, celle-ci a été retirée ou contestée par le bailleur ( Cass. 3 e civ. 31-5-2007 n° 06-12.907 : RJDA 8-9/07 n° 822 ) et, en cas d’expertise, à compter de l’ordonnance de référé ayant désigné l’expert ( Cass. 3 e civ. 8-7-2009 n° 08-13.962 : RJDA 10/09 n° 822 ). »)
7. Droit de repentir du bailleur et conséquences
Le bailleur peut exercer son droit de repentir et offrir le renouvellement du bail dans les quinze jours suivant la décision passée en force de chose jugée fixant l’indemnité d’éviction, ce qui met fin à l’obligation de paiement de ladite indemnité sous réserve du versement de certaines sommes accessoires (« L’exercice du droit de repentir suppose d’abord une condition de délai. En effet, l’article L. 145-58 du code de commerce in limine dispose que « le propriétaire peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision sera passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l’indemnité ». »)
(« Le bailleur tenu au paiement de l’indemnité d’éviction peut exercer son droit de repentir et offrir le renouvellement (art. 32). Il dispose pour y procéder d’un délai de quinze jours « à compter de la date à laquelle la décision sera passée en force de chose jugée ». »)
8. Jurisprudence récente et évolutions
La jurisprudence confirme la nécessité pour les juges d’apprécier souverainement le montant de l’indemnité d’éviction tout en respectant les critères légaux et les usages professionnels.
Les méthodes d’évaluation doivent être justifiées et adaptées aux spécificités de chaque fonds hôtelier (« Les juges du fond apprécient souverainement le montant de l’indemnité d’éviction, mais ils doivent préciser les éléments du préjudice qu’ils entendent réparer. »)
(« Le juge doit tenir compte des résultats de l’exploitation postérieurs au rapport d’expertise, qu’ils soient en hausse ou en baisse »)
9. Conclusion
L’indemnité d’éviction du fonds de commerce d’hôtel repose sur une réglementation rigoureuse et une jurisprudence abondante visant à garantir l’indemnisation intégrale du préjudice subi par le locataire évincé. Si le calcul obéit à des critères précis – chiffre d’affaires, rentabilité, valeur du droit au bail, frais accessoires – il requiert une analyse fine, tenant compte des particularités de chaque établissement hôtelier.
Maître Gérard Doukhan, avocat spécialiste en droit commercial à Paris, vous accompagne à chaque étape pour sécuriser vos droits et optimiser votre indemnisation.